La conscience tangible, ou les confidences d'un caméléon ahuri

Amie blogienne il m’est arrivé quelque chose de peu ordinaire. Je sais ce que tu penses : «Pepto, il ne t’arrive pas de choses ordinaires, tu vis toujours des trucs dingues.»

Détrompe-toi pour cette fois-ci, je ne parlerai pas d’homme éléphant courtisant un bouvier bernois contrit ni même de la femme qui prenait son mari pour un chapeau. Je te parlerai (si tu as bien lu le titre de cet article) de rêve. Je rêve peu.

J’ai une bonne connaissance biologique du cerveau humain, je connais les différentes phases du sommeil et ma préférée demeure la période hypnagogique. Je sais que je rêve à toutes les nuits. Je le sais, mais je sais aussi, que je ne me souviens que trop rarement de mes rêves. Trop peu souvent, parce que mes rêves sont généralement très intéressant pour ne pas dire révélateurs.

Étrangement, (ça doit être mon subconscient qui essaie de contrebalancer avec ma sordide réalité) mes rêves ne sont pas trop absurdes. Ils sont très clairs, et comme nous ne sommes plus dans les années cinquante, ils sont aussi en couleur. Je ne vois pas pourquoi je ne m’offrirait pas ce luxe après tout.

L’autre nuit, (c’est ici ma chance de lui trouver une occasion d’être enfin écrit)  l’antépénultième du mois de mars pour être précis, j’ai rêvé. Rien de bien passionnant, un souvenir à propos d’un ami d’enfance, qui est passé comme ça dans mon rêve, sans raison apparente, alors que je marchais de reculons sur un fil de fer suspendu entre deux bols de soupes géants. (Jusqu’ici, tout est parfaitement normal) Je le voyais à la télé, réclamant le magot, gagnant au loto, pendant que je m’efforçais à maintenir un équilibre précaire sur un sentier qui l’était tout autant.

Il y a au moins 10-12 ans que je n’ai pas parlé à cette personne, puisque je suis déménagé et lui aussi, vivant chacun notre vie de notre coté, dans l’ordre naturel des choses.

Lors de mon réveil, j’avais l’intime conviction qu’il me fallait taquiner le hasard. La mère de cette vieille connaissance habite toujours près de chez mes parents. J’ai appelé ma mère afin qu’elle avise Madame S. que son fils devrait s’acheter un billet de loterie.

Hier soir. 23 :15.

Le téléphone hurle à la mort dans la cuisine. Pepto émane du sommeil du juste (enfin j’ose croire !), alarmé et demi rageant (comme à chaque fois que le téléphone s’exprime alors que je dors.) Je maudis déjà l’idiot qui considère mon numéro pour un fax et qui agrémente mes oreilles de ce son si résolument sympathique à l’occasion. Je décroche, furax. 

-                     Pepto ?

-                     Hein ?

-                     C’est Dominic !

-                     Hein ?

-                     Dominic, Dominic S.

-                     Dominic ? euh… oui ?

-                     J’ai gagné ! 

Et soudain la lumière s’allume… parce que Peptine entre dans la cuisine. Moi je suis toujours imbibé de sommeil et visiblement complètement coma. Dans le combiné ça hurle : 

-                     J’ai gagné ! J’ai gagné ! Merci !

 Le déclic se fait, enfin. 

-                     Quoi, tu as gagné ? À la loterie ?

-                     Oui,  62 500 $ Grâce à toi !

-                     … 

J’entends sa femme en arrière-plan qui dit : 

-                     Remercie-le voyons, gros bêta, remercie-le.

-                     Merci merci mon vieux.

-                     … Euh… de rien, voyons, c’est juste le hasard, tu sais je croyais pas que mon rêve était prémonitoire…

-                     Peu importe, je voulais te remercier, tu sais, on ne joue pas souvent à la loterie, mais on t’a écouté…on a bien fait !!!

-                     Félicitations alors, tu vas faire quoi avec cet argent, un voyage, une nouvelle voiture ?

-                     Non non, on va adapter la maison, et acheter un nouveau fauteuil roulant pour le plus jeune. 

Je ne savais pas que son plus jeune était en fauteuil. C’est fou non ? J’ai travaillé pendant près de 10 ans avec des personnes handicapées et le mec avec qui j’ai eu toutes les chances de me brûler les cellules durant mes vertes années, a un enfant handicapé ! Satané hasard… 

-                     Tu ne savais pas qu’il était en fauteuil ?  

Je ne savais même pas qu’il avait des enfants… 

-                     Je croyais que tu savais, il a eu un accident à l’école il y a deux ans, son histoire est même passée dans les journaux et ma mère est tellement bavarde…

-                     Non, je ne savais pas, mais tant mieux alors si ça tombe bien le fric.

-                     Ça tombe on ne peut mieux. 

Et bla bla s’ensuivant sans trop d’importance… 

En fait, je ne sais pas si j’ai vraiment pris part d’une façon réelle, je veux dire si j’ai  (en tant que moi) concrètement un lien quelconque avec ce qui s’est passé. Quoiqu’il en soit, je me sens bien ce matin. Je suis heureux pour lui. Ce n’est pas tous les jours qu’on est franchement, absolument heureux du bonheur de quelqu’un d’autre. Et pour ça, je pleurais en retournant au lit. 

Peptine me regarde, un brin confuse. 

-                     T’es déçu ?

-                     Déçu ?

-                     De ne pas avoir gagné ? 

Elle n’a qu’entendu des bribes de conversation où elle a compris que quelqu’un avait gagné au loto.

-                     Non, je ne suis pas déçu, je suis ému. 

Même maintenant, où j’écris ceci, je suis ému. Je crois que mon don pour les situations incroyables a décidé de pencher du coté positif pour cette fois. 

Je dois avouer que quelque part en moi, je crains un peu le retour du balancier….